Louis Sciara
Psychiatre, psychanaliste
La violence fait partie des composantes anthropologiques de notre humanité. Que l’homme soit un loup pour l’homme, qu’il se débatte depuis toujours avec ses pulsions destructrices et meurtrières, qu’il ait à les canaliser pour faire lien social et acte de civilisation, ne peut donc nous étonner. Il n’empêche que la question de la violence devient plus familière, qu’elle baigne notre quotidien, qu’elle est de plus en plus ostensible dans un monde numérisé où la diffusion des informations obéit à un principe d’immédiateté, à une propension à la mettre en image, à l’afficher. Ce n’est pas sans retentissement sur notre manière de l’appréhender.
Cet article puise largement ses sources dans un livre que j’ai intitulé, Banlieues – Pointe avancée de la clinique contemporaine, paru aux éditions Erès en avril 2011. Il s’agit d’un essai sur la clinique actuelle à travers le prisme de ce qu’il est convenu d’appeler en France le phénomène des « banlieues ». En fait, le signifiant « banlieues » stigmatise et focalise l’attention médiatique et politique sur des territoires de ségrégation sociale. Il devient synonyme du malaise social propre à la société française depuis une trentaine d’années. Ces territoires représentent la caisse de résonance, la plus significative à mon sens, de la propagation d’une logique de la ségrégation qui se répand en France, rendant compte d’une dynamique plus globale, pour ne pas dire mondialisée, car elle touche tous les continents. Je soutiens l’hypothèse qu’elle est l’effet direct de l’incidence de ce que Lacan appelait le « discours du capitaliste »(1) . Ce discours est celui qui sous-tend l’économie libérale. Il anime les marchés financiers, il est sans point de butée, sans les dimensions de l’impossible et de l’impuissance qui structurent les quatre discours que Lacan avait définis (discours du maître, discours de l’hystérique, discours de l’université, discours du psychanalyste). Il engendre un cercle vicieux infernal de production de toujours plus d’objets de consommation, ce qui donne l’illusion que du manque qui nous constitue comme sujet nous serions soulagés, dès lors que chacun d’entre nous pourrait trouver sur le marché l’objet propre à assurer sa jouissance singulière. Je soutiens dans cet ouvrage que son impact a des conséquences cliniques sensibles, puisqu’il modifie la phénoménologie du trépied structural freudien (névrose, psychose, perversion), surtout la clinique des névroses par le biais de nouvelles modalités d’expression de la division subjective qui traduisent un certain démenti, devenu ordinaire, de la loi de la castration et, par delà, de la fonction paternelle qui est au cœur de l’ordre symbolique depuis l’émergence du monothéisme. La clinique contemporaine témoigne de cette évolution, car le « discours du capitaliste » subvertit fondamentalement les structures subjectives du langage (les quatre discours) du fait de leur étroite connexion et de leur circularité, en particulier celle du « discours du maître » dont l’écriture est celle de la structure du sujetui parle, sujet de l’inconscient. Il en résulte donc des remaniements dans notre rapport à l’ordre symbolique, celui des lois de la parole et du langage. Si le statut du sujet de l’inconscient n’est pas remis en cause, il n’en est pas de même pour la disposition subjective d’une partie des sujets contemporains, à savoir leur position subjective, leur rapport au « je » et à la parole, leur symptomatologie. Cette dernière est davantage dominée par les « mises en acte » (acting-out, passages à l’acte, tendance à l’agir). Elles prennent le pas sur la parole qui fait acte. Les sujets contemporains agissent en quelque sorte de plus en plus leurs conflits inconscients plutôt qu’ils ne les élaborent et ne les parlent. Parmi leurs « actions », les faits de violence individuelle et/ou collective sont notables, sans doute plus fréquents, comme l’atteste la pratique clinique avec les jeunes générations, en particulier celles qui vivent dans ces « banlieues » défavorisées.
Une difficulté émerge dans cette approche : la violence, sous ses diverses modalités, est certes appréhendable sur le plan sociologique, mais elle ne peut-être restituée sur le plan clinique qu’au cas par cas, prenant valeur symptomatique, témoignant d’un passage à l’acte ou encore d’une monstration adressée à l’Autre à l’insu du sujet concerné (acting-out). Pour passer du collectif à la singularité des cas la tache n’est pas si aisée, bien que Freud et Lacan nous aient transmis que tout fait social est un fait clinique. En tant qu’êtres dotés de la parole, nous sommes en effet inféodés au discours de l’Autre, c’est à dire au champ du langage et aux discours qui y circulent. J’évoquerai plus particulièrement dans cet article le problème des violences urbaines sous l’angle spécifique de la phénoménologie des « bandes » qui rassemblent des adolescents et des adultes jeunes résidant dans ces territoires de laissés pour compte. Je propose d’en étudier à partir de mon expérience clinique, les incidences subjectives. Ces « bandes » me paraissent paradigmatiques d’un pan de la clinique induit par une logique de la ségrégation qui essaime et se déploie dans le contexte d’une mondialisation de l’économie libérale et de ses effets subjectifs collectifs et individuels. Il faut savoir que ces « bandes » défraient de plus en plus l’actualité française, suscitant colère, angoisse, rejet, populisme sécuritaire, débat sur leurs causalités ainsi que sur les réponses politiques, sociales, éducatives à donner. Je m’appuie sur mon expérience clinique de psychanalyste et de psychiatre, surtout à la lumière de mon travail institutionnel dans deux banlieues proches de Paris. Je me réfère ainsi à mon ancien exercice de praticien responsable d’un centre médico-psychologique de secteur psychiatrique pour adultes à Nanterre et à mon travail actuel de psychiatre directeur d’un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) situé à Villeneuve Saint Georges. A Nanterre, ville hétérogène par la disparité socio-économique et urbanistique de ses quartiers, j’ai surtout suivi des personnes adultes en situation d’exclusion sociale, livrées à une errance ravageuse, mais aussi des habitants, le plus souvent âgés de 17 à 30 ans dont certains faisaient partie de bandes, vivant au sein de quartiers pauvres, dans des « cités », c’est-à-dire des grands ensembles construits dans les années soixante pour améliorer le confort de vie des populations logées jusqu’alors dans des bidonvilles. Quant à l’autre banlieue, elle est globalement bien plus pauvre que celle de Nanterre, sa population y est davantage exposée à la précarité et à la détresse économique, lesdites « cités » y étant plus nombreuses et formant l’essentiel du tissu social de la ville. Je reçois au CMPP des enfants, des adolescents et leurs familles. Parmi les enfants et adolescents, un certain nombre font allusion à leur appartenance à des bandes et/ou aux désagréments subis pour en avoir pâti.
Cette double expérience professionnelle auprès de personnes de tous âges et de diverses générations me permet de mieux différencier les problématiques cliniques de l’exclusion et de la ségrégation. Celles-ci, quoique corrélées, ne relèvent pas des mêmes logiques.
Dissémination de mini-territoires de ségrégation sociale
La ban-lieue désignait autrefois l’espace d’environ une lieue autour d’une ville dans lequel l’autorité féodale proclamait les bans et avait juridiction, avant de qualifier le territoire et les localités qui environnent une grande ville. Elle a conservé dans la langue française la double acception de périphérie, à distance d’un centre ville, et de mise au ban, de mise à l’écart des individus, naguère condamnés, désormais rejetés de la culture et des richesses dont bénéficieraient les habitants du cœur historique des cités. Elle comporte une dimension d’altérité dans la France contemporaine avec un double versant de discrimination sociale et raciale. Elle dénote une inquiétante étrangeté, reposant de moins en moins sur des limites circonscrites, s’anonymisant au fur et à mesure de l’extension tentaculaire des mégapoles, à l’instar de l’urbanisation galopante qui se développe dans les diverses parties du monde. Bien entendu, il ne saurait être question d’une entité figée : la banlieue. Il y a banlieue et banlieue. Les banlieues sont plurielles, hétérogènes socialement, démographiquement, urbanistiquement, historiquement…
Plutôt que de circonscrire les problèmes de la détresse sociale au seul signifiant banlieue, je préfère parler de territoires de ségrégation sociale en milieu urbain. Les statistiques sont significatives : ils regroupent un peu moins de cinq millions d’habitants en France sur un total de soixante cinq millions. Leurs habitants cumulent les principaux indicateurs de difficultés sociales : chômage élevé (43% des jeunes hommes de moins de 25 ans), revenus faibles, un foyer sur cinq est en deçà du seuil de pauvreté contre un ménage sur dix dans le reste de la France, faibles qualifications professionnelles, une plus grande densité de familles nombreuses et de familles monoparentales, échecs scolaires plus fréquents, niveau culturel faible …. A cela s’ajoute une certaine discrimination raciale avec une sur-représentativité des populations étrangères et d’origines étrangères (enfants, petits enfants d’immigrés, sur fond ou non de passé colonial).
Je n’ignore pas que la violence, individuelle comme collective, soit un phénomène répandu, ordinaire, quasi-inévitable en raison de la concentration démographique dans des espaces de désœuvrement propres aux grandes villes de notre planète. Je ne saurai analyser son importance, ses causalités spécifiques dans un pays émergent comme le Brésil dont la force économique est en pleine expansion. De ma lucarne européenne et selon ma propre fantasmagorie, je ferai remarquer que le Brésil fait partie de ces pays contrastés qui, à la fois, font rêver, comme si c’était une terre paradisiaque de toutes les jouissances, et suscitent de vives réactions d’inquiétude, en raison des violences quotidiennes dont les médias font état. L’univers des favelas est perçu en France comme celui d’enclaves spatiales jouxtant des quartiers aisés, au sein de méga cités telles que Rio de Janeiro, Sao Paolo…Les favelas sont considérées comme des ghettos, hors la loi, de violences extrêmes, de délinquance, de trafics de drogues et d’armes, de corruption. Les représentations sans doute caricaturales que nous en avons en France méconnaissent la conjoncture brésilienne. Cependant, cette extension de la violence n’est plus étrangère à ce pays de la vieille Europe. Elle devient un objet croissant de préoccupations et d’enjeux dans la sphère politique. Elle s’étend à grande vitesse dans un monde de plus en plus libéral où les disparités socio-économiques deviennent plus criantes, mettant à mal de nombreuses populations, les plongeant irrémédiablement dans la pauvreté et la précarité. Dans ce mouvement expansif de mondialisation économique, la violence obéit dans chaque pays à des singularités historiques, politiques, culturelles, sociologiques…. En France, la « crise des banlieues » qui perdure depuis les années quatre-vingts fait de plus en plus craindre un glissement vers une ghettoïsation disséminée et fragmentée. Il est vrai que les questions raciales tendent de plus en plus à s’exacerber. Certains sociologues estiment que les « banlieues » présentent désormais les caractéristiques des ghettos nord-américains, voire brésiliens (or, je ne crois pas qu’au Brésil le phénomène de discrimination raciale soit de même nature, n’obéissant pas aux mêmes déterminations historiques, coloniales, politiques). Ce qui prévaudrait maintenant ce sont des micro-espaces de ségrégation sociale au sein des villes, à savoir des « quartiers », des « cités » de grands ensembles… Ce n’est plus l’apanage des banlieues pauvres situées en dehors des cités. Cette ségrégation vaut pour toutes les classes sociales, séparant aussi celles qui sont les plus proches, les faisant fuir les unes des autres, comme l’argumente dans un essai récent l’économiste Eric Maurin (2) . Il évoque un séparatisme social croissant dans la société française aussi bien pour les populations aisées que défavorisées, à la nuance près que les premières ont choisi leur lieu de vie, a contrario des secondes qui sont comme assignées à demeurer dans des lieux de relégation.
Les processus de ségrégation se déploient selon deux axes concomitants : d’une part, celui d’une propension à la globalisation, d’autre part, celui de sa fragmentation et de son pullulement sous forme de micro-ségrégations. Les travaux de Marc Augé (3) sont tout à fait enseignants à cet égard et confirment cette dynamique. Tout en faisant valoir l’urbanisation du monde, il oppose « le monde-ville » à la « ville-monde ». Il souligne leurs aspects contradictoires : « contradiction entre l’existence proclamée d’un espace continu et la réalité d’un monde discontinu », contradiction entre le monde de la connaissance, des richesses, de la culture et celui des réalités sociales « où beaucoup d’hommes se sentent à la fois arrachés à leur passé (flux migratoires) et privés d’avenir ». Le « monde-ville » se constituerait selon un idéal d’uniformité, d’absence de frontières et de cloisonnements, en quelque sorte sur le mode d’une globalité dans une continuité supposée, à la manière d’un vaste réseau informatique de communication généralisée, d’échanges de biens, d’idées, de personnes. Il relève d’une dynamique idéologique issue du marché mondial financier avec les progrès technologiques qui en émanent. Il tendrait à faire Un et exposerait alors à un retour de bâton inévitable, celui d’un éclatement. A ce concept, M. Augé oppose donc la « ville-monde ». Elle contredit les illusions du modèle idéalisé de ce « monde-ville ». Elle condense non seulement la diversité des populations, des langues, des cultures, des religions, mais aussi les nombreuses disparités sociales, économiques, architecturales, environnementales… Elle montre que « le tissu urbain est aussi bariolé que déchiré ». Il n’y a de fait aucune continuité, uniquement des discontinuités. Ainsi, plus la globalisation induite par l’économie de marché tend à s’imposer, plus elle expose à des séparatismes impitoyables, discriminants, autrement dit ségrégatifs, ce qui détermine de plus en plus la recherche de l’entre soi, les replis identitaires, les vœux communautaires, les communautarismes, religieux, ethniques, sociaux, raciaux…
Avant de donner une lecture analytique de la logique de la ségrégation, il me faut la différencier de celle de l’exclusion.
Aspects cliniques et logique de l’exclusion
L’exclusion, du latin exclusio, est « l’action de tenir quelqu’un à l’écart, de le repousser » (4) . Elle concerne avant tout l’individu, parfois aussi le groupe. Issue du verbe latin excludere, elle comporte une double polarité (5) . D’une part, excludere, c’est ne pas admettre, ne pas laisser entrer. Il relève de l’élimination d’un lieu, ce qui est repérable avec le préfixe « ex », c’est à dire dehors. D’autre part, lecludere provient de claudere, qui en latin signifie fermer, enfermer. Autrement dit, l’exclusion est un terme paradoxal aux relents d’oxymore qui conjoint un rejet à l’extérieur et une tendance à maintenir dedans. L’exclu n’est pas réductible à celui qui se retrouverait seulement dehors. Dès lors qu’il est nommé, il n’est pas sans une certaine reconnaissance sociale. Autrefois désignés « vagabonds », « clochards », « mendiants », les exclus sont actuellement appelés en France « sans domicile fixe », « sans abri ». D’une certaine façon, la société leur octroie un statut social, même au prix d’un regroupement collectif et anonyme de personnes démunies, ayant perdu leurs attaches personnelles et sociales, embarquées dans la même galère, ce qui tend à effacer leur singularité. L’exclusion n’est pas nouvelle et jalonne l’histoire de chaque civilisation. Sans doute les exclus contemporains sont-ils les marginalisés de la société de consommation, sans toit, sans revenus, sans lien social. Parmi les exclus, il y a aussi des migrants clandestins, dont certains ont quitté leur pays d’origine pour des raisons psychopathologiques avérées et non pour des raisons sociales. Cependant, mon expérience professionnelle à Nanterre me permet de faire part de la clinique la plus spécifique, à mon sens, de l’exclusion : celle de l’errance. Sa caractéristique princeps est l’atopie de certains parlêtres (l’être humain en tant qu’il parle) psychotiques dont le lieu subjectif n’a jamais pu s’inscrire, faute de castration symbolique pour leur octroyer un lieu dans l’Autre, dans le langage. Les exclus ont autrefois intéressé les psychiatres, en particulier ceux de la fin du XIXème siècle et du début du XXème. Ainsi, l’illustre aliéniste allemand, Emile Kraepelin, leur a accordé une attention toute particulière, décrivant l’hétérogénéité clinique fondamentale de ce « petit peuple si curieux des vagabonds » (6) : « débiles, épileptiques, buveurs, déments hébéphréniques, psychopathes »… Outre les patients alcooliques mentionnés, il faut ajouter désormais les toxicomanes (qui n’étaient pas d’une aussi grande actualité du temps de ce grand clinicien), les sujets aux névroses d’échec graves, invalidantes, présentant fréquemment des états dépressifs et pour lesquels la dimension masochique, la compulsion de répétition effrénée, les ruptures ou deuils non « métabolisés » sont monnaie courante. Il s’agit surtout d’insister sur les divers patients atteints de psychoses hétérogènes (au moins un quart des patients désocialisés, en état d’errance dans les rues). Parmi ces derniers, comment ne pas souligner les formes aiguës psychotiques (bouffées délirantes, manies, mélancolies, syndrome de Cotard (7) , moments féconds d’une paranoïa, d’une psychose hallucinatoire chronique, d’une schizophrénie) et surtout les cas de psychoses chroniques qui conduisent sur les chemins ces égarés de la vie que sont ces parlêtres sans lieu subjectif. Ce sont des patients soumis à leur automatisme mental, aux injonctions de leurs phénomènes hallucinatoires, aux exigences de leurs délires. Leurs déambulations traduisent bien souvent l’automatisme moteur qui s’impose à eux. Le recours à l’alcool, aux drogues, les accompagne dans leur errance. Il est frappant de constater le délabrement de leurs corps, abîmés qu’ils sont par leurs conditions de vie, par leurs abus de toxiques, leur dénutrition…. et les ravages de la déspécification et de la désintrication pulsionnelles en rapport avec leur psychose. Cette incidence massive sur le corps propre dans des situations aiguës est très importante. Elle introduit d’emblée la dimension de la mort, la question de l’assistance à personne en danger, ce qui nécessite de l’expérience pour ne pas tomber dans une précipitation aveugle. Elle renvoie le praticien à sa responsabilité dans son acte professionnel. Enfin, pour compléter ces quelques indications, je mentionnerai ces patients mélancoliques, « cotardisés », qui stupéfient les somaticiens devant leur anesthésie à la douleur lorsqu’ils se présentent avec des plaies béantes et qu’ils semblent en faire le constat, mais sans la plainte habituelle à tout être humain. Ce sont ces patients psychotiques qui nous font entendre qu’un corps n’est pas un corps quand il n’est pas métaphorisé et que la douleur la plus grande qui puisse advenir pour un être humain est de ne plus être affecté.
Dans toute la diversité de cette psychopathologie de l’exclusion, les violences qu’ils s’infligent (auto-mutilations, tentatives de suicide, suicides..) ou qu’ils commettent sur les autres font partie du quotidien de la jungle de la rue. Toutefois, elles ne sont jamais organisées selon une dynamique collective. Il n’y a pas de « bandes » d’exclus, pas de solidarité entre eux, chacun est plutôt préoccupé par sa survie personnelle, quitte à se défendre manu militari pour préserver le bout de territoire qu’il essaye de s’aménager dans la rue.
Cependant, la logique de l’exclusion prend toute son importance au regard du statut du sujet de l’inconscient. En effet, l’exclusion en constitue une caractéristique fondatrice. Le sujet au sens lacanien du terme, celui de l’énonciation, est représenté par un signifiant pour un autre signifiant. Il est évanescent par excellence, assujetti à une division qui l’empêche de faire Un, ce qui induit que l’identité n’est pas Une, malgré la dimension imaginaire véhiculée par le « moi » de chacun pour s’en convaincre. Pour qu’un parlêtre devienne sujet, il faut que dans le bain de langage dans lequel il est immergé depuis sa naissance ait pu s’opérer une coupure dans l’espace même du langage, autrement dit dans le lieu de l’Autre, celui du trésor des signifiants. Cette coupure relève de ce que les psychanalystes appellent la loi de la castration. La division du sujet qui en résulte correspond à une coupure entre deux signifiants, celle qui correspond à la chute de l’objet a singulier au sujet et cause de son désir ; cet objet est le reste réel qui choit de la division du sujet par le signifiant. Ainsi, la structure du sujet, celle du $ (sujet divisé), repose sur une exclusion. Si subjectivité il y a, si position subjective il y a, ce n’est qu’au prix de cette exclusion de l’objet a. La relation fondamentale d’un sujet à l’Autre qui traduit notre aliénation au langage ne peut donc être réductible à une représentation imaginaire spontanée, trop schématique, qui sépare le sujet de l’Autre, le dedans du dehors et par extension l’inclus de l’exclu. Lacan nous incite en quelque sorte à accorder tout notre crédit à l’équivoque du terme d’exclusion. Il s’appuie pour cela sur la topologie et met en exergue le caractère indissociable du sujet et de son objet. Il souligne que le sujet est en « exclusion interne » (8) à son objet, ce qui revient à dire que le sujet est dans un rapport de coupure interne à l’objet qui cause son désir. Il est effet de langage et ne pourrait ni ne saurait se prévaloir de sa seule intériorité supposée, puisqu’il est assujetti à l’Autre, à la chaîne signifiante. C’est aussi cette exclusion qui donne la possibilité au sujet de se créer un lieu dans l’Autre, le lieu de son dire. C’est pourquoi, cette question du lieu du sujet est essentielle pour interpréter la pathologie de l’errance et si, faute de castration, un parlêtre n’a pas d’inscription de son lieu dans l’Autre, il est condamné à l’atopie, destin psychotique par excellence.
La ségrégation : un processus collectif
Au-delà de la tendance croissante à une stigmatisation discriminante à l’égard des « jeunes » des territoires de ségrégation, il existe une réalité patente des conduites violentes en ces lieux : conduites suicidaires de tous ordres et suicides, plus de violences physiques (bagarres duelles et collectives), plus de consommation de drogues, plus de faits de délinquance juvénile (vols, cambriolages, trafic de drogues…), plus de violences contre les symboles républicains de l’Etat ( de plus en plus d’affrontements contre les forces de l’ordre, mais aussi dégradations dans les transports, dans les écoles, les équipements collectifs tels que les immeubles d’habitation…), une plus grande fréquence d’émeutes urbaines (au début des années quatre-vingts, la « crise » des banlieues a débuté ainsi ; elle relevait alors d’une véritable quête politique de reconnaissance et de prise en compte des « différences », culturelles et surtout sociales, pour les jeunes générations issues des immigrations ) à la teneur politique de moins en moins nette et qui rassemblent désormais des jeunes gens non politisés, en état de désespoir social et de discrédit de toute autorité politique, enfin un phénomène des « bandes » qui prend un nouvel essor et sur lequel je vais mettre l’accent pour faire valoir un des deux pans de la logique de la ségrégation, celui de sa dérive perverse.
Segregatio désigne la séparation en latin. Son caractère sans équivoque, radical, de mise à l’écart, d’isolement de l’individu ou du groupe, différencie la ségrégation de l’exclusion. La ségrégation introduit la dimension de mise au ban de la collectivité ou d’une collectivité. Elle sépare de la norme sociale ambiante, de l’appartenance aux lois usuelles de la société et de la reconnaissance qui en découle. Elle comporte le plus souvent une connotation de victime pour la ou les personnes concernée(s). Cependant, contrairement à l’exclusion, c’est moins l’individu qui pâtit de la ségrégation qu’une collectivité. Les exemples historiques, à diverses époques, dans différentes cultures, ne manquent pas. Je citerai l’esclavage qui a sévi du XVIème siècle au XIXème siècle et encore plus récemment les phénomènes de ségrégation raciale, par exemple la politique de l’apartheid en Afrique du sud. L’esclave n’était pas un exclu, il n’avait aucun statut social au départ, étant totalement inféodé à son maître, sans patronyme et appartenant à son propriétaire qui avait tous les droits sur sa personne. Il était individu indéfini, sans statut social légitimé, séparé du corpus social, victime de ségrégation en faisant partie de la communauté des esclaves.
Dans les processus de ségrégation, si c’est le volet collectif qui prédomine, ce n’est pas toujours la dimension victimaire qui prévaut. A l’heure actuelle, émergent de ci de là des engouements communautaires. Certaines personnes participent activement à leur ségrégation pour des raisons diverses, souvent par rejet des valeurs inhérentes à la société dans laquelle ils vivent. Ils peuvent alors revendiquer d’autres codes et prôner d’autres normes, au nom d’un idéal identitaire qui les lie les uns les autres, dans une communauté de semblables. Ils entretiennent alors leur mise au ban. Ils ne sont pas comme les exclus, à savoir des individus en souffrance tombés dans les franges miséreuses de la société, qui en subissent les conséquences sans chercher à faire communauté. Si exclusion et ségrégation obéissent en fin de compte à des logiques hétérogènes, elles peuvent être liées. Par exemple, j’ai eu à suivre un certain nombre de patients, jeunes adultes de quartiers « sensibles », qui avaient dû quitter leurs microcosmes familiaux, sociaux, leurs « bandes » et qui, peu à peu, de Charybde en Scylla glissaient sur les chemins de la désinsertion et de l’errance. Ces mêmes sujets pouvaient alors se retrouver en position d’exclu, prouvant ainsi que la bascule de la ségrégation à l’exclusion est une destinée individuelle possible.
La ségrégation contemporaine : une conséquence du discours du capitaliste et de ses effets de démenti sur la division subjective
J’inscris cette logique de la ségrégation comme une des conséquences majeures du discours du capitaliste par le démenti qu’il introduit sur la structure du discours du maître, la même que celle du sujet de l’inconscient : un sujet ($) est représenté par un signifiant (S1) pour un autre signifiant (S2) à condition de la chute de l’objet a (9) . Freud a employé le terme verleugnung pour désigner le mécanisme du fétichisme, paradigme de la perversion. Il a été diversement traduit par déni, désaveu, démenti… Le terme de démenti me semble le plus approprié, car il est en rapport avec ce qui contredit une chose admise, convenue dans l’Autre. Il relève d’un savoir inconscient qui repose sur le refoulement. Il s’impose comme contradiction du savoir dans l’Autre, mais la loi de la castration y est déjà efficiente, a contrario du déni qui est une négation du savoir dans l’Autre par un clivage de motions opposées, contradictoires, indépendantes l’une de l’autre, l’une qui admet la castration, l’autre qui la dénie (notion freudienne de « clivage du moi » qui protège le pervers de la castration). J.P. Lebrun met l’accent justement sur le démenti pour faire valoir son impact majeur dans la clinique contemporaine à propos de la « perversion ordinaire » (10) . Il distingue les pervers sexuels, au sens freudien, qui en font leur « assise » des « pervers ordinaires » qui « se servent du démenti pour éviter la subjectivation ». Le démenti me paraît tout à fait correspondre aux effets de perversion sociale promus par le discours du capitaliste sur la fonction paternelle et la loi de la castration. Dans son écriture, Lacan fait d’ailleurs persister les barres qui indiquent le refoulement et donc la castration, y compris pour le sujet $. Il en ressort quelques éléments majeurs qui forment en quelque sorte la structure de ce démenti. Le sujet ($), qui n’a logiquement aucun accès direct à l’objet (a) qui structure son fantasme dans le discours du maître, est précisément soumis au diktat de son objet comme en témoigne le sens de la flèche. Cela pourrait lui laisser croire qu’il capterait enfin son plus de jouir grâce à la production et la consommation d’objets mis sur le marché. Dans un circuit continu d’une « machine à plus soif », sans les dimensions de l’impossible et de l’impuissance qui marquent la discontinuité, la perte, le Réel, inhérents aux autres discours, le statut du sujet se reformulerait ainsi : un S1, signifiant maître, est représenté par un sujet divisé pour un autre signifiant. Mais alors de quelle division s’agirait-il sans qu’il y ait de perte ? Quant au S2 (savoir), il est également sous la commande d’un S1 en place de vérité, ce qui soit dit en passant peut prendre la forme d’un pouvoir acéphale qui asservit l’autre, le contraint au travail pour produire toujours plus de savoirs technologiques de connaissance, au service d’une productivité qui met sur le marché des objets de consommation qui assureraient la jouissance de chacun.
Je soutiens que le démenti engendré par le discours du capitaliste sur le discours du maître a des effets sensibles sur la division subjective, impliquant de nouvelles dispositions subjectives pour les névrosés. Ils restent soumis à la castration, mais présentent pour certains une nouvelle phénoménologie qui colle à l’illusion que du manque ils pourraient se soustraire. Cette phénoménologie s’appuie sur un pseudo-colmatage de la division subjective à force de tentative de substitution de l’objet a par un objet concret. D’où, probablement, le recours accru aux drogues. C’est cet aspect de la clinique contemporaine devenu plus courant dans le lien social qui se retrouve avec acuité pour les jeunes générations des territoires de ségrégation sociale. Que la place d’autorité du S1 soit ébranlée correspond bien au malaise contemporain de la moindre prise en compte de l’autorité symbolique, celle de la fonction paternelle et de son opérateur princeps le phallus, ce signifiant qui conjoint le logos et le sexuel en sexualisant la chute de l’objet a entre S1 et S2 et qui détermine usuellement la division du sujet. Le discours du capitaliste induit une mise en cause de la différenciation des places dans le discours du maître en atténuant l’Altérité, en discréditant le savoir S2 qui normalement vient légitimer et tempérer le signifiant maître S1, évitant d’en faire un pur pouvoir arbitraire. Par le démenti qu’il promeut, le discours du capitaliste accentue la méconnaissance des lois du langage, réduisant le désir au besoin, proposant toujours plus d’objets de consommation pour pallier le manque. Par sa force dans le monde contemporain, par son effet de globalisation, il fait fi de la loi de la castration. Il met de surcroît à son service le « discours technoscientifique », celui qui est le principal artisan du progrès social, mais aussi de la mise sur le marché de ces objets technologiques dont nous devenons de plus en plus dépendants. Dans cette profusion d’objets réels qui circulent dans nos liens sociaux (surtout par l’Internet désormais), il ne faut pas omettre que nous vivons de plus en plus dans un monde de l’image et de la représentation. Cette civilisation planétaire de l’image renforce le besoin de s’approprier les objets de jouissance affichés, mais aussi la tendance aux identifications imaginaires, favorisant les effets en miroir sur le plan collectif, pouvant influencer les individus et les amener à donner moins de poids à la parole et au langage.
Des modifications cliniques sont en conséquence repérables. Elles se font l’écho du malaise contemporain qui concerne l’ordre Symbolique. Que ce malaise soit étroitement lié à la mise à mal de la fonction paternelle, en particulier dans le monde occidental, ne fait pas de doute. Qu’il soit corrélé au moins en partie aux conséquences du discours capitaliste sur la division subjective me semble perceptible. En tout cas, il n’est pas anodin que ces changements cliniques soient plus sensibles dans le champ des névroses. Celles-ci se présentent avec une phénoménologie nouvelle en raison des effets de perversion sociale que le discours du capitaliste engendre sur les autres discours, du fait de leur interdépendance de structure. Dans ces conditions, comment cette nouvelle phénoménologie clinique s’inscrit-elle dans une logique de la ségrégation ?
Pour cela, il est d’abord nécessaire de rappeler brièvement les trois modalités d’identification définies par Lacan à partir de l’élaboration freudienne : l’identification imaginaire ou identification hystérique, telle celle illustrée par l’histoire freudienne du pensionnat de jeunes filles, et qui ressort de notre aliénation fondamentale à l’image de l’autre lors du stade du miroir ; l’identification symbolique ou « identification de signifiant », celle d’un seul trait, einziger Zug, selon la terminologie de Freud ; enfin, partiellement en référence avec la première identification décrite par Freud (en rapport avec « le destin de l’identification au père »), mais aussi en donnant une acception plus large de l’einziger zug et qui interroge ce qu’il en est d’une première inscription, celle du trait unaire pour rendre compte de l’identification symbolique du sujet. Le trait unaire est fondamental. Il est lié à la marque à partir de laquelle il peut y avoir du Un pour un sujet, lui permettant de se compter et de se décompter, tout en déterminant sa capacité à se construire une identité symbolique par les diverses identifications de signifiant. Le sujet de l’inconscient se met en place à partir de cette première inscription du trait unaire. Pour Lacan, l’identification imaginaire (celle de l’image, de la représentation) en jeu lors du stade du miroir dépend de cette identification symbolique primordiale. Elles sont nouées. Le trait unaire vaut comme symbolisation d’une absence. Il n’est pas un trait positivé, il est précisément ce à partir de quoi il peut y avoir de la référence et qui rend possible la répétition signifiante. Lacan y repérait l’indice à la fois de la première identification symbolique du sujet, celle qui lui donne l’assentiment d’être Un, mais surtout essentielle à ce que le « sujet » soit représenté par un signifiant pour un autre signifiant. Aussi, le trait unaire est également, par son caractère d’affirmation et d’évanescence, la marque fondamentale de la mise en place de la fonction paternelle.
A mon avis, la logique de la ségrégation se déploie selon deux axes principaux : celui que je qualifie de dérive perverse et celui d’une psychose « collective ». Elle conjoint deux versants de l’identification. D’une part, celui de l’identification imaginaire, spéculaire, modalité qui repose sur une identification croisée aux semblables, dans l’horizontalité des relations entre alter ego d’une même confrérie et qui participe d’un rassemblement, d’une massification. Ce versant vaut pour les deux axes cités. D’autre part, celui d’une identification à un trait réel – trait qui n’a pas la valeur symbolique inhérente au trait unaire– qui met donc en cause l’identification symbolique dans sa fonction et son efficace. Une telle défection symbolique traduit une mise à mal de la fonction paternelle et touche à son rejet, à sa forclusion. Elle correspond à cette pente « psychotisante » de la ségrégation qui prend l’allure d’une paranoïa collective, centrée autour d’un trait réel qui fait Un, qui fait certitude dans l’Autre. Nous en avons des traductions sociales en pleine expansion : celle des engouements passionnels et fanatiques pour telle ou telle idéologie totalitaire, religieuse, philosophique ou politique, qui conduisent aux embrigadements dans des sectes, parfois au terrorisme. Les communautarismes s’inscrivent dans ce mouvement, réveillant des revendications identitaires xénophobes, dans un monde qui se fragmente d’autant plus qu’il se globalise. Ils poussent au culte de La norme qui serait Une, opérant par une unification à un trait réel et non pas symbolique. Ils rejettent tout ce qui ne serait pas conforme à cette norme Une. Grosso modo, dérive perverse ou registre psychotique, la ségrégation ébranle les fondements de l’identification symbolique des parlêtres et témoigne de la mise à mal de la fonction paternelle, puisque c’est elle qui la détermine. La pente la plus radicale de la ségrégation se fonde donc sur une absence d’identification symbolique. Elle procède d’un collage à une trace réelle qui justement ne fait pas trait. Elle n’est pas de l’ordre d’une identification différenciée. Elle est concevable comme une réduction du trait unaire à la coche réelle et non plus à la symbolisation de cette coche. La marque réelle ferait bel et bien référence identificatoire en étant réduite au signe (ce qui désigne quelque chose pour quelqu’un) et non au signifiant (qui renvoie à un autre signifiant).
Cette lecture de la ségrégation ne suppose pas pour autant qu’il y ait un continuum entre dérive perverse et psychose « collective » (Lacan parlait de « psychose sociale »), puisqu’elles relèvent d’un Réel clinique hétérogène. Marcel Czermak a évoqué dans plusieurs de ses articles la logique hypocondriaque, cotardienne. Elle est du même ordre que cette « psychose sociale » : pousse à la complétude qui aboutit à une mort du sujet psychotique et tentative concomitante de décomplétude par des passages à l’acte. Autrement dit, une logique de globalisation/ fragmentation spécifique de la ségrégation comme je l’ai précédemment stipulé. Je ne ferai référence qu’au versant de la dérive perverse pour évoquer les problèmes de violences.
Dérive perverse et ségrégation : les « bandes » comme paradigme clinique
Cette dimension de dérive perverse est nettement repérable dans les territoires de ségrégation sociale avec ces « jeunes des cités » qui rejettent d’autant plus les normes de la société française qu’ils s’en sentent bannis, se sachant au bas de l’échelle sociale et économique. Certains se rassemblent, forment des « bandes ». Ils semblent particulièrement aspirés par une dynamique consumériste et sont enclins à des exactions, à des trafics divers, versant ainsi dans la délinquance. Les « bandes » ne sont pas un phénomène nouveau en France. Leur origine remonte au XIXème siècle, au moment de l’industrialisation, de la naissance des classes laborieuses, de leur déplacement vers la périphérie des grandes villes. Depuis les années cinquante, se sont succédés les « blousons noirs » (dont la moto était l’objet culte d’un modus vivendi, d’un voeu de liberté ostensible), « les loubards » et depuis une dizaine d’années lesdites « bandes de jeunes ». Le qualificatif « jeune » devient ainsi curieusement discriminatoire. Selon le sociologue Gérard Mauger (11) , le monde des « bandes » réunit « la fraction la plus démunie des familles populaires ». Les familles issues de l’immigration y sont surreprésentées puisqu’elles vivent en majorité dans les « cités ». Les bandes ne sont pas pour autant « ethniques ». Elles « réunissent des jeunes chômeurs sans qualification », des lycéens, des collégiens « d’un même quartier, d’une même cité, d’un même groupe d’immeubles, d’une même cage d’escalier : il se trouve que bon nombre d’entre eux sont issus de familles immigrées, mais les Français d’origine en sont rarement absents ». Ce sont essentiellement des bandes de garçons, les filles en sont le plus souvent écartées, encore qu’elles aussi commencent à s’organiser en bandes. Les filles, surtout dans les familles d’immigrés, sont très surveillées, à la fois convoitées par des garçons d’autres bandes et susceptibles de trahison, au regard du code d’honneur familial, ce qui peut conduire à des violences gravissimes. De ces diverses bandes émane une fascination pour l’argent avec des aspirations consuméristes majeures, dans un esprit de revanche sociale par rapport aux classes sociales aisées. La force physique y est capitale et constitue un moyen de domination, d’exercice du pouvoir vis-à-vis d’autres bandes. L’individualisme masqué par l’appartenance à la bande y est à son comble. Les membres de la bande semblent fonctionner comme en dehors de la société, établissant leurs codes internes, leur langage commun et identitaire.
Depuis 2005, des émeutes se sont produites en France dans ces « banlieues » pauvres, indiquant à quel point un profond malaise social est redondant. Parmi les émeutiers, beaucoup de protagonistes font partie de « bandes ». Leurs violences s’apparentent à des exactions de toutes sortes et témoignent d’incivilités, en particulier lors de dégradations de symboles de la République (écoles, monuments, institutions républicaines…). Or, ils se révèlent non politisés, à la dérive, protestataires actifs, révoltés et, pour certains, délinquants avérés et asociaux. Ils sont désespérés, sans perspectives d’avenir. Ces émeutes ne sont pas le fait d’une organisation politique sous-tendue par une conviction idéologique. Elles témoignent d’un univers hétérogène de violences, d’impasses, d’incertitudes, pour une jeune génération déboussolée de laissés pour compte. Avec ces « bandes » se retrouvent les deux versants fondamentaux de la logique de la ségrégation : la mobilisation d’un collectif et sa fragmentation. Sur ce dernier point, il faut en effet souligner leur diffraction, leur rivalité, leur tendance à se faire la guerre pour conserver et étendre leur micro-territoire. Elles ont cependant un ennemi commun : la police, elle-même considérée parfois comme … une bande rivale, comme le souligne Gérard Mauger !
A partir de ma pratique clinique, je peux dégager quelques traits cliniques caractéristiques de ces jeunes gens des bandes. Il en ressort un point de difficulté notable. Il n’est pas étranger à la spécificité de cette clinique : très peu d’entre eux se prêtent à un suivi, encore moins à une « psychothérapie ». Je n’évoque même pas la question d’une psychanalyse dans le cadre d’une institution soignante, aussi influencée soit-elle par le discours psychanalytique. En fait, « les jeunes des cités », membres de bandes, consultent le plus fréquemment sur injonction judiciaire, sur forte recommandation scolaire, éducative, parentale. Ils le font au décours de violences de toutes sortes, parfois au moment d’un raptus anxieux, pratiquement jamais à leur initiative. Ils n’ont quasi-jamais de demande de soins spontanée. Les situations les plus favorables sont celles pour lesquelles un travail d’accompagnement en amont a été initié, permettant une certaine ouverture transférentielle. Cette sorte de préparation à une consultation possible met l’accent sur le rôle capital d’éducateurs, d’assistantes sociales, de psychologues scolaires, de professionnels qui interviennent dans des structures sociales, judiciaires, éducatives, dans des points d’accueil d’adolescents, dans des centres de loisirs ou culturels. Sans cette amorce transférentielle initiale, sans une relation personnalisée avec un professionnel qui a pu gagner leur confiance, ils ne s’adresseraient pas à un « psy » d’une institution soignante. En soulignant ces difficultés, je ne me réfère pas bien sûr aux adolescents et jeunes adultes qui ont à faire avec des soignants dans un moment de décompensation aiguë ou subaiguë, ce qui ne leur laisse plus trop le choix.
Je me fonde sur trois registres d’expérience pour mettre au travail la clinique de ces patients : celui de patients qui consultent ponctuellement ou sur une courte durée, celui plus surprenant de patients qui ne révèlent leur appartenance à une bande qu’une fois débuté un suivi, à l’occasion d’un problème rencontré au sein de leur groupe et enfin, celui qui est le plus enseignant, le cas de ces patients qui ont quitté ce microcosme de la bande, qui peuvent en témoigner dans l’après-coup, avec du recul, souvent parce qu’ils ont commencé à interroger leur trajectoire de vie. Ces derniers peuvent d’ailleurs s’y mettre des années plus tard et certains le font sur le divan d’un psychanalyste.
Ces patients présentent des caractéristiques cliniques qui me semblent représentatives des nouvelles modalités d’expression de la division subjective que nous constatons dans la clinique contemporaine. Je les rattache aux effets de « perversité » du démenti induits par le discours du capitaliste sur la structure du sujet divisé, celui de la parole, et sur les autres discours, ce qui traduit une mutation du lien social. Elles ne sont pas circonscrites aux « jeunes » de ces zones de relégation, elles sont tout simplement paradigmatiques de l’évolution plus globale de la clinique du fait de remaniements dans le Symbolique. J’insiste néanmoins sur le fait que le trépied structural freudien (névroses, psychoses, perversions) garde toute sa valeur, cependant que la « perversité » se retrouve à divers échelons de la clinique actuelle : changements très relatifs dans la clinique des psychoses, plus marqués dans celle des perversions, non pas sous l’angle freudien des perversions sexuelles qui demeurent identiques, mais sous celui de la perversion sociale, modifications encore plus nettes de la clinique des névroses que je qualifie de « clinique contemporaine des névroses » au titre de sa phénoménologie évolutive. Pour autant, ces « jeunes » étant pour beaucoup des adolescents, ces caractéristiques nécessitent d’être réfléchies au regard des remaniements structuraux à l’œuvre à cette période cruciale de leur vie et ne permettent pas de conclure trop hâtivement sur leur devenir singulier.
– Le langage : celui des « cités » est très codé. Il est essentiel dans le microcosme de la « bande ». Langage commun, vernaculaire à l’instar d’un argot, il a une fonction identitaire, bien qu’il fasse désormais partie intégrale de la langue française qui en a adopté des mots, des expressions. Il permet de parler entre soi, de se conforter dans l’idée que tout ce qui est Autre est étranger à la « bande ». Ce langage, brassage de plusieurs langues de jeunes gens d’origines diverses, permet en tout cas qu’il n’y ait pas, dans la majorité des bandes, de barrières ethniques. En ce sens, il rassemble, il est fraternel et s’il est commun avec les autres bandes, il n’en est pas moins la propriété de chacune. Il est fondé sur une langue inventive, par certains aspects, avec son vocabulaire, ses codes, son phrasé, mais aussi sur le langage du corps, la gestuelle, les choix vestimentaires, les goûts musicaux…propres à chaque « bande ». Mon hypothèse est que ce « langage des cités » est emprunt des effets du retentissement du démenti dont j’ai fait état sur la division subjective. Ces jeunes adultes et adolescents manient une langue qui fait plus de place à la métonymie qu’à la métaphore. Leur parler est souvent vif, rythmé par une oralité immédiate, insistante et explosive avec une sensible tension agressive. Les mots fusent sans ambages, avec une certaine crudité, à la manière des chanteurs de rap. Un certain nombre de signifiants, souvent à connotations vindicative et sexuelle infiltrent un langage où s’entremêlent des phrases ordinaires et des termes en verlan. Les phrases sont courtes, avec des scansions perceptibles, pour ne pas dire marquées et quelque peu stéréotypées. Ce langage paraît plus soumis aux codes qu’aux messages.
– Le rapport à l’Altérité et, plus globalement, la question de la position subjective sont spécifiques. Ils ont peu le souhait de s’exprimer et ne semblent pas aptes à subjectiver leurs propos, tellement ils paraissent insipides, pauvres, faisant valoir avant tout combien ils sont les uns et les autres victimes de la même galère sociale, par identification imaginaire. Cependant, ce n’est pas de l’ordre d’un défaut de réflexion dû à leur bagage scolaire et culturel souvent trop maigre. Le souci d’historiciser leur vie n’est pas au premier plan. Il y a même un certain évitement à restituer, par exemple pour lesdits jeunes français « issus des immigrations », le parcours d’émigration de leurs parents et grands parents, faisant comme s’ils n’étaient pas au courant ou ne s’en souciaient pas, sans compter que cela ait pu être passé sous silence, pour ne pas dire refoulé, dans leurs familles. La curiosité d’une appartenance à la langue et à la culture parentales est peu évidente pour ces jeunes hommes (elle est plus nette dans l’ensemble pour les jeunes femmes), sauf dans les cas devenus plus fréquents pour lesquels les enjeux identitaires reviennent en force, entre autres, par le biais de la religion. Peut-être est-ce ainsi par crainte de trop de discrimination ou de préjugés négatifs de la part du clinicien qui les reçoit. Il existe chez nombre de jeunes garçons nés en France mais marqués par les signifiants de l’ « origine », de l’ « étranger », un sentiment d’appartenance à la bande de leur « cité » qui les baigne dans une subjectivité qui ne se réclame ni de leur langue d’origine ni de la langue française, mais relève d’un micro séparatisme énigmatique : celui d’un entre-deux qui les laisse dans un no man’s land, dans un rapport au présent qui serait comme délié de tout arrimage symbolique à leur culture d’origine comme à la culture française. Le plus marquant c’est le peu de poids qu’ils semblent accorder à leur propre parole. Peut-être est-ce en grande partie lié au fait de s’adresser à un « psy », c’est-à-dire à quelqu’un envers qui ce n’est pas la confiance qui règne… Bien sûr, il faut tenir compte des conditions de leurs demandes, ce qui suscite au moins dans un premier temps réactions de prestance, rébellion, hostilité, jusqu’à une agressivité affichée. Il est clair qu’ils ne sont pas sans avoir intégré leur appartenance à un environnement social et familial stigmatisé, avec la représentation dévalorisée qui en découle. Cela incite à être plus vigilant dans le transfert, notamment à faire preuve de respect à leur égard, comme à veiller au respect qu’ils doivent au praticien. Il y a pourtant un paradoxe dans ces « bandes » : ces notions de respect et de parole ne se sont en effet pas du tout volatilisées, puisque dans leurs codes internes elles ont une grande place, elles sont très importantes au titre de la parole donnée et du code d’honneur qui régit les trafics internes. Mais, je crois qu’il s’agit aussi d’autre chose, je dirai une vraie difficulté à authentifier, à engager leur parole, ce qui dilue d’autant plus la question de leur responsabilité personnelle dans la parole à soutenir. C’est pourquoi, leur position subjective est surtout marquée par une sorte de flottement énigmatique, de discours impersonnel que j’attribue, non pas à une absence d’Altérité, ni vraiment à une banalisation névrotique, mais à un discrédit du savoir dans l’Autre. Le S2 subit les effets du démenti qui circule dans le social et qui réduit le langage à un instrument de communication, à l’instar du langage informatique et électronique qui a envahi notre quotidien. Il en résulte une méconnaissance accentuée de ce qui peut faire symptôme pour chacun, de leur savoir inconscient. Cette dévalorisation de la parole et du discours relève à mon sens d’un effet de recouvrement de la division subjective. Je le qualifie de « pseudo-suture ». Ils disent des paroles mais font comme s’ils ne s’attribuaient ni leurs dires ni la portée de ces dires, ce qui induit une sorte d’inertie dialectique. Leur agressivité est aussi liée à cela. Sans oublier que leur rapport au temps est marqué par l’immédiateté. Ainsi, ils ont du mal à prendre du recul en cas de conflit, prenant au pied de la lettre les moindres propos tendancieux, susceptibilité qui les pousse à en découdrein petto, comme si la seule réponse possible n’était que la force.
– Il n’est donc pas étonnant que le registre de l’agir prenne le dessus sur celui de la parole. Les diverses passages à l’acte sont assez explicites en ce sens. Ce court-circuitage de la parole est largement facilité par l’usage ordinaire et quotidien, pour beaucoup, de drogues diverses, d’alcool, à des niveaux de consommation variables. Cette place si ancrée du recours à un toxique, dans leur modus vivendi, témoigne de la nécessité d’avoir à portée de main un objet réel. Cela en dit long sur leurs capacités à supporter la dimension du manque. Cet impératif les pousse à se le procurer au prix de violences. Cette façon de coller à un objet concret pour supporter leurs existences rend compte d’une dérive perverse, même si l’objet drogue ne prend pas valeur de fétiche. Par ailleurs, le recours aux armes est aussi facilité par la présence et l’infiltration de milieux mafieux qui savent aussi utiliser ces bandes de jeunes à dessein et les entretenir dans un engrenage de malversations diverses.
– La grande attirance qu’éprouvent ces jeunes gens pour les objets de consommation (vêtements de marques, objets high-tech..) traduit aussi leur fascination à se procurer les mêmes objets de jouissance que les fils de bourgeois. Elle dénote l’ancrage, l’influence, l’emprise de l’économie de marché dans ces lieux de ségrégation sociale et l’impérieuse nécessité de pouvoir en jouir, au nom des idéaux sociétaux ambiants, ceux du profit, de la richesse, de la réussite. Leur souci majeur est en effet de se procurer « la thune » (l’argent dans le « langage des cités ») qui leur fait défaut à tout prix. Que cela induise des pratiques délinquantes et qu’elles soient alimentées par la pègre locale n’est donc pas surprenant. Pour ceux qui se livrent à des deals, l’effet du manque qui les constitue comme sujet est démenti par leur jouissance à se satisfaire des produits du marché. Ils se traitent et traitent leur semblable en objet instrumentalisé, ce qui les réduit eux-mêmes à n’être que les objets de leur propre trafic. La dérive perverse se confirme.
– Les difficultés symboliques que ces patients rencontrent leur font éprouver la nécessité de se regrouper en bandes. Elles révèlent à quel point l’autorité symbolique paternelle est en défection et combien ils la recherchent. Elles sont repérables dans le fonctionnement et la structuration de ces bandes. Il y a un chef, le plus âgé ou le plus fort ou le plus craint. Tous les membres, bien que frères de galère, n’occupent pas la même place. Ils n’échappent pas à une hiérarchie ni à une diversité, malgré le sens du partage dont ils font parfois état. Le culte de la virilité y est exacerbé et les rites initiatiques dans les risques à prendre, les défis à transgresser, sont autant d’expériences qui mettent à l’épreuve et qui les font se jauger les uns les autres. Comme dans tout groupe. Les affrontements entre bandes sont l’occasion de faire la preuve qu’ils sont bien des hommes n’ayant pas peur de se battre. Ils montrent leur solidarité vis-à-vis du groupe comme du chef. Tous les excès de boissons, de drogues, de vitesse sont des défis lancés à leur virilité et au delà, un défi à la mort. Il ne faut jamais perdre de vue que ce sont des adolescents qui composent la grande majorité de ces bandes. Les enjeux de conquêtes de filles, sœurs ou petites amies des garçons du clan adverse sont également très valorisés. J’ajoute que certains enfants dans le primaire peuvent confier désormais qu’ils commencent à intégrer des bandes « pour avoir une protection », car dans certaines écoles, ceux qui n’en font pas partie se font taper et deviennent des boucs émissaires. La bande par ses effets imaginaires de miroir, de ralliement, de reconnaissance entre frères, fait office de « prothèse imaginaire », de suppléance à la déliquescence de la fonction paternelle. Elle rassemble ainsi des jeunes personnes en déshérence (terme juridique qui rend compte, en l’absence d’héritier pour recueillir une succession, de la charge qui en incombe alors à l’Etat ; par extension à la loi symbolique, cela traduit une modalité contemporaine propre à certains névrosés de refuser la dette symbolique qui leur échoit au titre de leur inscription dans une filiation et de la laisser porter par d’autres, y compris par l’Etat), c’est à dire qui ont du mal à se situer dans la chaîne générationnelle de leurs aïeuls, mais qui surtout adoptent une position subjective de démenti par rapport à ce qui leur a été transmis.
– Enfin, il y a dans ces bandes des parlêtres aux diverses structures cliniques. La dérive perverse de la bande peut entraîner des personnes psychotiques et même parfois les protéger, pendant un temps, d’une décompensation. Elle peut aussi permettre à des pervers de trouver le moyen de jouir de leur perversion et de la déployer. J’avancerai que se retrouvent aussi dans ces bandes des jeunes névrosés égarés transitoirement sur ces chemins de traverse. Certains parviennent à s’extirper progressivement de cette aliénation de la bande, grâce à une rencontre avec un tiers, un ami, un aîné, une personne de la famille qui a été là au bon moment. D’autres trouvent une échappatoire artistique : rappeurs, slameurs, adeptes de la breakdance… D’autres enfin peuvent, par le biais d’un travail transférentiel, parvenir à se sortir de cette ornière de la bande. Pour ceux-là, il a fallu la rencontre avec un analyste. Celle-ci a nécessité un temps préliminaire souvent conséquent. Sur ma propre expérience, il me semble que le clinicien doit apprendre à composer, dans un maniement du transfert souvent fort délicat qui en passe par un savoir faire particulier : accepter d’occuper vis-à-vis de ces patients une place de semblable, d’alter ego qui se met à la portée de leurs difficultés, tout en essayant de maintenir de l’Altérité. Ce temps préliminaire s’avère indispensable pour que quelque chose se déplace dans leur position subjective. Si cela opère, le gel de la subjectivité fait alors place à la dimension et à la singularité du symptôme jusque-là comme enfouies. C’est à ce prix que les mises en acte avec leur cortège de violences peuvent céder le pas à la parole qui ferait acte.
– Il est remarquable enfin que l’Altérité, sous son angle princeps de la différence des sexes, ne soit pas vraiment mise en cause dans cet univers des bandes. Elle persiste très nettement et ce n’est pas l’intégration de certaines filles qui cherchent à montrer qu’elles sont capables de faire comme les hommes et même mieux qu’eux, qui vient le démentir. De plus, quand bien même la consommation de drogues est très prégnante, elle est dans l’ensemble plutôt un adjuvant à la jouissance sexuelle qui contribuerait à l’exacerber qu’un enfermement dans une jouissance addictive exclusive qui s’y substituerait.
Les bandes urbaines constituent bien un paradigme de la dérive perverse de la logique de la ségrégation. Cependant, certains glissements sont très inquiétants. Ainsi, lors de combats entre bandes rivales (bandes qui souvent portent comme nom le signifiant de la « cité » ou du quartier dans lesquelles elles sévissent) le toponyme peut coller à la peau au point de devenir le porte-drapeau réel de leur lieu d’habitation. Dans ces cas, la bande prend la forme d’une paranoïa collective. Elle s’emploie à défendre son territoire coûte que coûte, comme pour faire Un, pour faire ciment commun. Nous avons donc intérêt à en prendre la mesure.
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2.E. Maurin, Le ghetto français – Enquête sur le séparatisme social, La République des idées, Seuil, 2004.
3.M. Augé, Où est passé l’avenir?, Panama, Paris, 2008.
4.A. Rey, Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, Paris, 1998.
5.A. Rey, A mots découverts, R. Laffont, Paris, 2006.
6.E. Kraepelin, « Criminels pathologique et vagabonds », Introduction à la psychiatrie clinique, Analytica, Navarin, 1984.
7.M. Czermak, « Signification psychanalytique du syndrome de Cotard », Passions de l’objet, Joseph Clims, Paris, 1986, p. 205/233.
On doit à Jules Cotard, un célèbre aliéniste français, la description du « délire des négations » (1882) et à Régis, un autre aliéniste, d’en avoir souligné la symptomatologie en distinguant le « syndrome de Cotard »: manifestations d’anxiété, idées de damnation, de possession, d’énormité, propension au suicide et aux mutilations volontaires, analgésie, anesthésie affective, idées hypocondriaques de non existence et de destruction de divers organes, du corps tout entier, de l’âme, de Dieu, qui sont exprimées par ces patients sur un mode uniquement négatif (« je n’ai pas de… »), mais qui valent comme affirmations absolues, perte de la vision mentale et enfin la certitude d’être condamné à l’immortalité. Le Cotard est caractéristique d’une mélancolie anxieuse et d’une forme extrême d’hypocondrie qui témoigne d’une plénitude totale du sujet.. Marcel Czermak a permis d’en dévoiler sa haute valeur structurale. Le « cotardisé » est celui qui illustre typiquement le concept lacanien de « mort du sujet », cette mort symbolique qui plonge dans une perte totale de toute temporalité, de toute spatialité, du fait d’une totale complétude. Il en appelle alors à le tuer, à le décompléter, pour en finir avec cette insupportable douleur d’avoir à vivre éternellement.
8.Jacques Lacan, « La science et la vérité », Écrits, Seuil, Paris, 1966, p. 861
9.L’objet a est cet objet que Lacan a inventé, qui cause la division du sujet, cause son désir et organise son fantasme. Il vaut comme manque d’objet et fait écho à l’ « objet perdu » de Freud.
10.J.P.Lebrun, La perversion ordinaire, Denoël, Paris, 2007.
11.G.Mauger, Les bandes, Belin, Paris, 2006.