Bernard Vandermersch
L’étymologie du mot corps nous renvoie au corps in-animé (corpus) par rapport à l’âme (anima). Le mot latin lui-même pourrait être un élargissement d’un thème KRP attesté en indo-iranien signifiant forme, beauté. Le corps, le cadavre et la beauté qui constituerait le dernier rempart devant la mort (Lacan).
Dans la cure analytique, le corps est là. Pas de cure in effigie. Pas de cure par correspondance. Pourquoi la nécessité de cette présence ? Mais d’abord qu’est-ce qu’un corps humain ?
1.Qu’est-ce qu’un corps humain ?
Au premier abord, ce qui frappe, c’est sa ressemblance avec le corps des animaux, du moins les plus proches. On sait que nous partageons avec les chimpanzés la presque totalité de notre génome, ce qui pour le coup devient un peu gênant…
La différence surgit quand on considère le rapport de notre corps à son milieu. Ce rapport est complètement dénaturé. C’est un corps privé du savoir de l’instinct. Les modes dont il subvient à ses besoins sont complètement régis par la culture et spécialement en ce qui concerne sa sexualité. Il suffit de se promener à le surface de la planète pour s’en assurer.
2.Qu’est-ce qu’un corps humain pour celui qui l’habite ?
Celui qui l’habite dit : « J’ai un corps ». Il ne dit pas : « je suis un corps ». Je ex-siste au corps. Je est hors du corps qu’il prétend avoir.
Pourtant son corps est manifestement frappé de refoulement. J’ai été soumis précocement à l’idéal de maîtriser les manifestations de mon corps : c’est le but premier de toute éducation. Inversement j’ai une tendance à vouloir sentir mon corps, à l’éprouver dans des « épreuves sportives » par exemple mais aussi avec la drogue etc…
J’ai un corps. Est-ce que j’en ai la jouissance totale ou seulement l’usufruit ? Pour l’instant il ne m’est pas permis d’en céder des organes avec ou sans contre-partie. Il ne m’est pas permis de le tuer quoique aujourd’hui la compassion de mes contemporains fera de mon suicide une maladie et non un délit ou un crime. Ai-je le droit de choisir mon sexe ? Les temps changent. La compassion de mes contemporains fera de moi une femme si je leur déclare avoir l’intime conviction que mon être est femme, que mon sexe apparent est une erreur et que mon « genre » est féminin. Une fois opéré, il faudra changer mes papiers, car la compassion de mes contemporains…..
Disons que, pour celui qui l’habite, le corps lui sert avant tout à jouir. A vrai dire plutôt que de jouir de mon corps, j’en suis plutôt joui.
Ici apparaît encore une ambiguïté : on jouit d’une bonne santé quand on ne sent pas son corps : « La santé, c’est la vie dans le silence des organes » (Leriche). La santé serait donc le refoulement réussi des pulsions du corps. A l’inverse, la jouissance s’éprouve comme tension au delà de l’homéostase.
Question : la sexologie, en tant que discipline médicale, est-elle au service de la santé ou de la jouissance ?
On peut donc opposer le plaisir qui se produit du soulagement du corps de ses tensions : la faim, la fatigue, l’excitation sexuelle et la jouissance qui essaie d’aller un peu plus loin, de repousser les limites imposées par le plaisir, un peu, pas trop. Mais on sait des cas où ça va loin. Lacan fait remarquer que l’interdit porté sur la jouissance masque surtout le fait que ce qui la limite c’est notre capacité à la supporter. Ce sont des limites naturelles que seul le désir peut faire reculer.
3.Il y a donc deux corps très différents :
le corpspour la science, celui qui s’offre à une objectivation par les divers procédés de mesure, de visualisation par les techniques d’imagerie etc dans lequel il faut inclure le « psychisme » qui est tout aussi objectivable, mesurable, étalonnable par les techniques de testing divers,et le corpsassujetti à la jouissance.
C’est là la coupure essentielle qui marque la différence entre ces deux activités que sont la médecine et la psychanalyse qui relèvent de deux discours différents.
Le discours médico-psycho-sexo- vise la maîtrise des phénomènes corporels, le discours de la psychanalyse vise la reconnaissance du savoir inconscient sur la jouissance, savoir fabriqué par le sujet à la place du défaut spécifique de l’être humain : pas de savoir instinctif sur le sexe. Seuls les enfants humains demandent : comment viennent les enfants ? Et quand on leur explique, ils y reviennent parce qu’ils n’ont pas compris ou bien ils s’abstiennent car cela gêne. Surtout malgré les explications scientifiques, rationnelles, officielles, qu’aujourd’hui ils ont le bonheur de recevoir, ils fabriquent une théorie sexuelle infantile. On peut le vérifier à partir de leur façon de se conduire effectivement. C’est encore plus convaincant lorsque c’est un médecin qui tout à coup s’aperçoit que coexiste en lui le savoir officiel sur le sexe et un savoir de sa théorie infantile.
La coupure entre ces deux corps fait la différence irréductible entre la langue du médecin et celle du malade avec las malentendus qui fourmillent dans la moindre consultation.
4.Les trois registres du corps.
En psychanalyse, c’est du corps pour la jouissance qu’il s’agit. Mais pour le penser il nous faut distinguer avec Lacan les 3 registres que sont : le réel , le symbolique et l’imaginaire.
4. 1. Je vais vous parler dans un premier temps du corps réel.
Le réel n’est pas la réalité. Le réel c’est l’impossible, ce n’est pas simplement l’impossible en soi, mais l’impossible à dire, à imaginer. Prenons par exemple le corps pour la science, il y a tout un discours sur le corps, des kilomètres de textes médicaux, d’anatomie, de physiologie… Mais tous ces texte ne font que parler du corps. Où est le corps réel? Il nous échappe. Comme tout objet physique (cf Le réel voilé de Bernard D’Espagnat).
On pourrait penser que le corps c’est l’idée d’un tout. Faire corps, faire un, c’est tout un. Apparemment il y a cohésion des parties du corps. En fait nous savons que tout cela est assez imaginaire. Pour que les parties du corps tiennent ensemble il faut qu’en permanence elles se communiquent une quantité d’informations sur l’état de la carte d’identité antigénique qui est en perpétuelle modification elle-même. Le système immunitaire qui est impliqué dans cet échange d’information est quelque chose d’extrêmement complexe. On sait qu’il est sensible au conditionnement mais là-dessus mes données ne sont pas très récentes et je pense que vous en savez plus que moi. Si on prend le niveau de l’atome, il n’y a pas dans un corps vivant un seul atome qui ne soit remplacé au bout d’un certain temps. On est en présence du paradoxe de ce bateau dont toutes les planches ont été changées progressivement, si bien qu’il ne reste « matériellement » plus rien du bateau primitif. Est-ce que c’est toujours le même bateau ou pas ?
On peut saisir ici qu’on ne peut associer l’idée de réel à l’idée de consistance. L’idée de consistance est purement imaginaire.
Un point qui peut avoir de l’importance est qu’un bonne partie du corps se laisse décrire comme des membranes, des surfaces d’échange
S’il faut situer le réel du corps, en psychanalyse, on le cherchera plutôt dans ce qui lui est impossible au niveau de sa jouissance. Ce qui est impossible pour un corps c’est de jouir du corps d’un autre. Même dans l’amour le plus fou, on en a jamais que des petits morceaux qu’on attrape comme on peut.
4. 2. Le corps imaginaire.
Remarquons que, pour celui qui l’habite comme pour celui qui l’observe d’un œil profane c’est-à-dire un œil libidineux, le corps se présente comme une enveloppe et que cette enveloppe peut être un objet de désir. C’est d’abord sur ce mode que se présente l’image du corps : il me plait, il ne me plait pas. Le corps est un objet de désir, à commencer par mon propre corps. Comment cela se fait-il ? Qu’est-ce qui donne à cette enveloppe ce lustre ?
Il a du y avoir au départ ce moment fécond où je me suis regardé dans la glace et j’ai dit : « c’est moi !». (Même si à l’époque je ne parlais pas encore). C’est tout à fait étonnant. Mettez un animal devant le miroir : une fois convaincu de la vanité de cette image, l’animal s’en détourne, indifférent en général. En tout cas il ne se prend pas pour l’image. Tous les humains ne se prennent pas pour cette image. Il y a certains autistes et puis il y a des gens qui tombent dans la psychose et l’un des premiers signes de cette psychose est justement que leur image leur devient tout à coup étrange. J’ai vu un gamin psychotique qui avait dessiné un lion au tableau (le roi lion !) et qui juste après avait peur du lion qu’il venait lui-même de dessiner. Tout ce qu’on dessine c’est un peu nous-même, sauf dans ce cas où l’image reprend son autonomie. Il faut donc que cette image fasse l’objet d’un assentiment de la mère pour qu’elle prenne.
La puissance de ce leurre qui consiste à se prendre pour son image est largement induit par le fait qu’on en a besoin pour que notre corps tienne. Le moi se constitue par identification du sujet à sa propre image ou à celle d’un semblable parce que l’unité apparente de l’image anticipe sur la maîtrise même de mon propre corps. Cette identification se fait à un âge très précoce où la motricité est encore incoordonnée.
Cette identification se voit dans le phénomène de la sympathie par exemple. Je me prends pour mon semblable. Dans l’envie aussi, parce que bizarrement cette image, elle peut me ravir à moi-même. Elle peut m’échapper. Elle est aussi à l’origine de la méconnaissance paranoïaque qui fait que ce que je dénonce chez mon semblable c’est ce qui me concerne. Nous n’avons à la limite accès à nos désirs secrets qu’en nous écoutant parler d’autrui.
Il y a aussi les phénomènes transitivistes, par exemple l’enfant qui donne un coup de pied au copain et qui dit : « il m’a frappé » en toute bonne fois.
Il y a donc une première aliénation fondatrice du sujet qui fait que ce sujet se prend pour un moi, pour une image.
4. 3. Le corps symbolique ou la deuxième aliénation.
Mais pourquoi l’être humain se prend-il de passion pour une image ? Pourquoi cette absurdité si manifeste ? Sans doute parce qu’elle lui confère une unité à un moment où il ne l’a pas encore conquise. Mais aussi sans doute parce qu’il souffre confusément d’un manque au niveau de son être-mêmeet ce manque dans son être tient à une autre aliénation : celle du rapport du corps au langage. C’est un fait que le corps humain semble à la fois démuni d’instinct et particulièrement sensible à ce que nous appelons le signifiant. Du coup la satisfaction de ses besoins devra en passer par la demande et donc se soumettre aux lois du langage.
Un enfant élevé sans paroles dépérit très rapidement. L’enfant à la naissance est dans une telle prématurité physique qu’il ne doit sa survie qu’à la « machine extra-corporelle » qu’est sa mère. Du même coup la satisfaction de ses besoins va être livrée aux manières de faire de sa mère. Et les manières de faire de sa mère dépendent largement d’un savoir plus ou moins mythique ou scientifique, plus ou moins personnel, plus ou moins familial, culturel. En tout cas c’est un savoir qui peut se dire avec des mots et qui est contraignant. On n’élève pas partout un enfant de la même manière.
Ce savoir, qui supplée dans l’espèce humaine à l’absence d’instinct, n’est pas un chaos aléatoire. Il possède une structure. Les mots que la mère dit, quand ils parviennent au sujet, font déjà corps entre eux. Ils constituent déjà un corps de savoir, même si c’est un savoir mythique, culturel, celui de la langue. Quand une mère, par exemple, a été élevée dans une langue et qu’elle élève son enfant dans une autre langue, il se produit des effets au niveau de la descendance des enfants, parce que justement le savoir propre à sa langue, l’organisation de ce savoir ne va pas se transmettre. C’est ce corps de la langue qui va s’introduire dans le corps de l’enfant, par le discours de la mère.
Le corps de l’enfant devient le lieu de ce savoir apporté par l’Autre, avec un grand A, i.e. le trésor des signifiants de la langue apporté par la mère.
Le manque dans l’Autre.
La mère apparaît à l’enfant comme désirante, i.e. que sa parole, son activité sont orientés par un manque. Ce manque n’est pas contingent. Il traduit un fait de structure. La mère est l’incarnation de l’Autre et cet Autre a comme particularité, comme tout système symbolique, de se présenter comme manquant.
D’une part il ne peut se nommer lui-même. [C’est lié à la propriété du signifiant de ne pouvoir se signifier lui-même ce qui rappelle la propriété des ensembles : Il n’y a pas d’ensemble de tous les ensembles]. Du coup il n’y a pas de nom pour le corps propre. Le nom propre ça ne désigne pas notre être, ça désigne un trou. La faille dans le corps que le sujet habite. Mon nom ne désigne pas mon corps. Il medésigne, moi le sujet et non moi le moi, ce manque, ce trou dans le trésor des signifiants.
Donc le nom propre ne désigne pas un corps mais quelque chose d’insaisissable, plus ou moins vaguement situé à l’intérieur du corps. Confronté à ce défaut constitutif du langage, le futur sujet va se trouver engagé dans la tentative de dire ce qu’il est lui-même. Il va tenter de retrouver le signifiant qui le désignerait, mais bien sûr il ne le trouvera jamais sauf à mourir comme sujet parce que, être réduit à un signifiant pour un sujet c’est la mort, ou la honte de ne pas en mourir, dit Lacan. Le signifiant, le mot, c’est tuant même si c’est un joli signifiant : si un enfant se prend pour la vraie merveille de sa mère, ça a des effets très déprimant sur ses capacités.
L’autre manque est que l’Autre ne peut garantir la vérité de ses propres énoncés. [Ce qui rappelle plutôt l’incomplétude telle que le théorème de Gödel la démontre pour l’arithmétique : si l’arithmétique est consistante, i.e. la notion de vérité y a un sens, alors on pourra toujours produire un énoncé correctement formé et pourtant indécidable.]
Ces failles dans le « tout-savoir » de l’Autre garantissent non pas la vérité mais une place pour la vérité, pour la vérité comme ce qui reste opaque, qui échappe au savoir. Il faut donc bien distinguer vérité et exactitude sous peine d’abolir le sujet. Vous savez qu’on est dans un temps où il faut être transparent, mais si par malheur cette transparence pouvait se réaliser, ce serait la mort du sujet. Alors n’exigeons pas du sujet qu’il dise toute la vérité, contentons du peu qu’il peut dire. La vérité n’est pas absolue et même si un désir inconscient apparaît comme vrai, tout d’un coup, dans sa révélation, il n’est « vrai » que parce qu’il échappait à mon savoir l’instant d’avant et risque de retomber dans le savoir l’instant d’après.
Quand la vérité est passée dans le savoir, ce n’est plus la vérité. Exemple : l’Œdipe, tout homme sait aujourd’hui qu’il a voulu coucher avec sa mère et tuer son père. Ca ne fait plus d’effet, et depuis longtemps dans une cure. Ce rapport de réversion de la vérité dans le savoir fait obstacle à la transmission de l’analyse sur le modes de la transmission du savoir médical ou du savoir scientifique. On peut bien sûr transmettre le savoir théorique de la psychanalyse comme ça, mais le résultat est qu’il perd son effet de vérité. On aura simplement fabriqué des élèves bétonnés, immunisés contre la vérité grâce au savoir.
Il n’y a de vérité, et donc de sujet, que si l’Autre se présente comme ne sachant pas tout et vous savez que le cauchemar c’est justement quand l’autre sait tout de vous que vous ne pouvez plus lui échapper. Big brother avec lequel on jous aujourd’hui dans une frange ténue entre réalité fictive et réalité virtuelle.
Encore un mot pour dire que le défaut de savoir dans l’inconscient est normalement signifié comme sexuel par le phallus. Il concerne l’origine, le sexe et la mort.
5. La fonction du phallus, signifiant du désir.
Le sujet humain est lui-même quelque chose qui ne figure pas dans le langage. Il n’est que supposé (sub-jectum). Ce manque apparaît donc d’abord chez l’Autre, incarné surtout au départ par la mère. Elle me dit ceci ou cela mais au-delà de ce qu’elle me dit, que veut-elle que je sois ? Elle-même n’a pas le mot pour le dire.
Du coup nous nous posons la question de ce que nous sommes. Spinoza avait déjà répondu : l’essence de l’homme c’est le désir. Cela veut dire que notre essence est d’être des « manque à être », de purs trousdans le langage : aucun dernier mot ne dira ce que nous sommes et jusqu’à notre dernier souffle nous cherchons à nous exprimer.
Tout sujet en fait un jour l’expérience lorsqu’il découvre qu’il n’est pas l’objet qui comble sa mère. Il perd alors ce qui masquait son manque à être mais aussi celui de la mère.
L’objet qu’il se croyait être, bien élevé, fièrement dressé sur ses jambes, Lacan l’appelle le phallus imaginaire de la mère.
Remarquons que l’absence de pénis sur le corps de la mère est généralement méconnue ou diversement désavouée par l’enfant. Cette ignorance est une défense mais contre quoi ?
Lacan montre que cette prétendue « castration » de la mère n’est qu’une présentation sous forme imaginaire du manque structural situé dans le langage, dans l’Autre qu’il appelle encore le Trésor des signifiants. Mais en prenant cette forme imaginaire, ce manque devient symbolisé par le phallus élevé au rang de signifiant. Pour servir cette opération le pénis doit être rayé de la carte du narcissisme.
6. L’objet a, cause du désir et suture du manque dans l’Autre.
Il est ce qui vient à la place de cette garantie absente. Il est ce avec quoi (en dehors du nom propre) le sujet bouche le trou qui se dévoile au moment où il s’aperçoit qu’il n’est pas le phallus de la mère. A cet instant se découvre la béance et l’énigme pressante du désir de l’Autre (la sphynge). Je rappelle qu’il n’y a pas d’objet naturel du désir génital. Pour y répondre dans l’urgence et faire bouchon le sujet lâche ce qu’il a sous la main si je puis dire, un objet détachable du corps, un de ceux qui étaient déjà là, en attente, dans les échanges sensuels entre la mère et l’enfant. Il s’agit du sein (de l’enfant sevré), de l’excrément (de l’enfant propre) déjà bien connus des analystes freudiens en tant qu’objets pulsionnels dits prégénitaux, mais aussi du regard et de la voix.
Pris dans cette fonction de garantie de l’existence, l’objet a disparaît de la scène du monde. Il devient l’élément essentiel du fantasme inconscient qui n’est autre que la chaîne signifiante qui relie le sujet à cet objet et dont la psychanalyse révèle le caractère effectivement hétéroclite. L’objet a ne soutient la réalité du sujet qu’à la condition de rester voilé dans le fantasme. (Ainsi l’angoisse traduit la menace du son dévoilement et la honte, le sentiment d’y être réduit.)
C’est ainsi que les orifices du corps humain vont être « érotisés » et convoqués dans la relation sexuelle, où à priori, ils n’ont rien à faire.
Le problème, comme le souligne Charles Melman, c’est que ce sont les mêmes orifices qui servent aussi pour les besoins. D’où les problèmes d’anorexie, boulimie, diarrhée, constipation, voire les problèmes de la vue, de la voix qui ponctuent une vie ordinaire.
En conséquence, la physiologie du corps humain va dépendre inexorablement d’un accord entre, d’un côté, la maîtrise imaginaire du corps, commandée par ce qui doit plaire à l’Idéal – pour que j’ai une image satisfaisante de moi-même – et de l’autre côté le fonctionnement pulsionnel en tant qu’il est pris dans la fonction du désir, donc du sujet.
7. Le corps va donc se présenter différemment selon les structures cliniques.
Pour que le fantasme soutienne le désir d’un sujet il faut que la question du phallus soit réglée préalablement c’est-à-dire que le manque dans l’Autre ait été interprété comme ayant à voir avec le sexe. Ce n’est pas toujours le cas.
Ainsi dans la psychose il y a toujours une espèce d’hypocondrie fondamentale. Cette hypochondrie est liée au fait de l’absence de décomplétion du corps par cet objet dont je viens de parler. Dans la psychose l’objet pulsionnel n’est pas venu interpréter, soutenir, supporter le manque à être du sujet. Quand le psychotique rencontre l’énigme du désir de l’Aure, il se trouve sans ménagement désigné comme cet objet. Faute de s’être fait, dans son fantasme inconscient, cet objet au titre de semblant, il se trouve, dans le réel, identifié par l’Autre à cet objet.
Exemple : un patient schizophrène ne pouvait plus aller au cinéma à Paris. Quand il faisait la « queue », en effet, il était en proie à des diarrhées. « Ca veut dire, disait-il, que je suis homosexuel. – Qu’entendez-vous par là ? lui demandai-je. – Ca veut dire qu’Ils veulent me sodomiser ». On voit que l’objet anal ne vient pas supporter la question de l’existence du sujet. C’est dans la réalité que vient une réponse avant toute question.
Dans l’hystérie, le corps constitue une scène où le désir que le sujet ne peut pas nommer est mis en scène, en silence, dans un symptôme : aphonie, paralysie d’un bras etc.
Le corps peut aussi être le lieu de la protestation du sujet contre la nécessité de se soumettre à la jouissance. Le corps y est assez souvent dans le malaise d’avoir à supporter l’objet qui cause le désir des hommes avec la tentation de s’en débarrasser. Ce malaise peut être l’occasion d’un renversement de la maîtrise en faisant valoir précisément sa faiblesse comme pouvoir contre celui du maître.
Dans la névrose obsessionnelle où se manifeste un doute permanent sur l’acte fondateur par lequel l’objet a été cédé, on trouve une sensibilité particulière à tout ce qui touche la sphère anale, mais aussi à tout ce qui pourrait avoir, à l’insu du sujet, contaminé le corps. N’y a-t-il pas des restes d’objet pris dans le corps (microbes divers, corps étrangers) comme aussi bien dans les pensées (idées parasites, obscénités) qui n’auraient pas été détachés?
Les phénomènes psychosomatiques au sens de la psychanalyse, c’est-à-dire des troubles lésionnels en rapport avec une situation qui concerne la vie symbolique du sujet, semblent en rapport avec une structure particulière. Il n’y aurait pas de coupure entre le signifiant idéalisant de la maîtrise et le savoir de l’Autre qui conduit à la jouissance. Dans ce cas le corps, en tant qu’il a, comme on l’a vu, incorporé le savoir de l’Autre, se trouve soumis directement à l’impact du signifiant de la maîtrise sans la coupure (cette coupure n’est autre que le phallus qui relativise la toute puissance du signifiant) qui vient immuniser le rapport du sujet au langage. Autrement dit, le signifiant, dans ce cas, au lieu de représenter le sujet, se transforme en signe qui vient commander une fonction corporelle comme dans les expériences de Pavlov. La difficulté de ces cas est que ce type de symptôme est sans sujet, qu’ils ne peuvent donc être interprétés. Cependant la prise en charge psychanalytique, quand elle est possible peut avoir des effets bénéfiques sur ces personnes en les amenant à accepter l’intrusion dans leur monde du signifiant paternel qui introduit avec le phallus symbolique la césure entre la maîtrise et le savoir maternel.
Merci de votre attention.